La famille et le combat spirituel – par le Père Jean-Baptiste Edart
La famille fait l’enjeu d’un combat particulier parce qu’elle est le premier lieu, dans l’ordre de la nature, de la manifestation de l’amour de Dieu. La communion de l’homme et de la femme dans les liens du mariage est à l’image de Dieu et de son Amour trinitaire.
Ce combat se vit au niveau de la société, à travers l’établissement de lois qui aident ou portent atteinte à la vie de la famille telle qu’elle a été voulue par le Créateur. Il se vit aussi au sein de la famille et c’est cette dimension que nous souhaitons développer ici. La famille est le premier lieu où se vit la charité. Elle est fondée sur la charité conjugale, ce choix d’un homme et d’une femme de se donner l’un à l’autre, de vivre pour l’autre afin, ensemble, de s’ouvrir à un troisième fruit de la fécondité de leur amour.
Cette réalité, même dans sa simple expression humaine, est une réalité habitée par la grâce, fruit de l’amour de Dieu. Ne parlons pas du mariage sacramentel où l’amour des époux est manifestation de la charité du Christ pour l’Église, et réciproquement. Les baptisés mariés sont appelés à manifester au monde l’Amour du Christ.
Cela peut sembler très spirituel, et cela l’est, mais cet appel se vit très concrètement au sein de la famille et est l’occasion d’un combat spirituel, car nous sommes marqués par le péché et le tentateur fera tout pour empêcher la famille de réaliser sa vocation. Parce que la vie spirituelle est vie de charité, le combat spirituel au sein de la famille se situe au niveau des relations familiales : entre les parents tout d’abord, puis entre les parents et les enfants, et enfin entre les enfants eux-mêmes.
Entre les parents
La pierre de fondation d’une famille est un amour conjugal. Conjugal signifie étymologiquement « sous le même joug ». Ce joug est celui de l’amour réciproque. Saint Paul invite les époux à vivre celui-ci dans un rapport différencié. Autrement dit, l’homme et la femme sont appelés à s’aimer, mais chacun à sa manière. Ceci nous est exposé dans les épîtres aux Ephésiens.
L’épître aux Ephésiens (5,22-33) invite les époux à une soumission réciproque, c’est-à-dire à reconnaître la vocation de chacun. Le mot traduit par soumission vient du vocabulaire militaire et signifie reconnaître la mission du supérieur et pour cette raison lui obéir. Il ne s’agit pas d’affirmer une dignité différente, un inférieur et un supérieur. Pour l’époux, cette mission consiste à prendre soin de son épouse et à agir en tant que chef, c’est-à-dire tête. La tête commande au corps, mais elle ne peut le faire que si elle a entendu ce que le corps percevait du monde environnant. Dans l’ordre chronologique, ce n’est pas la tête qui commande d’abord au corps, mais le corps qui indique à la tête ce qui peut être fait. Lorsque nous marchons sur le verglas, le cerveau réagit en fonction de ce que les pieds perçoivent.
Malheur à lui s’il ne tient pas compte de la réalité sentie par ceux-ci, il risque fort de se retrouver au même niveau que ses pieds ! Une fois les informations parvenues au cerveau, celui-ci peut discerner la meilleure décision et transmettre au corps comment agir. Saint Paul suggère qu’il en est de même dans le couple.
L’homme est appelé à aimer sa femme en prenant soin d’elle d’une manière active. La femme est appelée, elle, à se remettre avec confiance au discernement de son mari, rassurée sur le fait que celui-ci cherche ce qu’il y a de meilleur pour elle. Leur amour prend ainsi modèle sur l’amour entre le Christ et l’Eglise. Le combat spirituel des époux sera donc le plus souvent dans le refus de cette dynamique. L’homme sera toujours tenté de décider avant d’avoir écouté et de ne pas accepter humblement ce que son épouse peut lui dire.
L’épouse sera toujours tentée de ne pas s’en remettre au jugement de son époux, persuadée qu’elle seule peut comprendre ce qui est bien. Sa tentation sera celle de l’autonomie. Cette soumission réciproque demande de l’humilité et un oubli de soi. « Celui qui veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même » dit le Christ. Cela se réalise au sein du couple. Au cœur de ce combat, le pardon et la prière mutuelle sont les deux armes fondamentales. Savoir se demander pardon permet de repartir. Prier et oser demander à l’autre de prier pour soi permet de mettre en œuvre la grâce reçue dans le sacrement du mariage et de vaincre l’ennemi.
Entre parents et enfants
Entre parents et enfants, le combat spirituel prend une autre forme. Saint Paul invite les parents à ne pas exaspérer les enfants ! (Col 3,21) Cette exaspération semble être le fruit d’une exigence excessive des parents puisque saint Paul ajoute « vous pourriez les décourager ». Cette précision nous montre quelle est la juste attitude des parents : encourager les enfants. Ceci peut être compris à différents niveaux.
Dans l’éducation humaine, les fruits sont plus nombreux et durables lorsqu’ils sont le fruit d’un encouragement et non d’une contrainte sanctionnée par la réprimande. Mais cet encouragement peut aussi être compris comme une invitation des parents envers les enfants à acquérir leur autonomie, à oser sortir du nid familial. On peut en déduire en creux que le combat des parents dans l’éducation sera donc au contraire de vouloir les enfants pour eux, pour leur propre confort. Ce peut être en ne leur donnant pas les moyens de vivre cette sortie, en démissionnant de leur responsabilité d’éducateur. Ce peut être aussi en les éduquant dans une peur du monde. L’enjeu pour les parents est de comprendre que ces enfants leur ont été confiés, qu’ils appartiennent à un autre, le Créateur, qui les associe à sa mission.
Lorsqu’un enfant naît, c’est pour la vie éternelle, et cela va bien au-delà de la responsabilité des parents. Quelle sera la première attitude spirituelle des parents vis-à-vis des enfants ? La bénédiction. C’est ainsi que les patriarches ont béni leurs descendants. En faisant ainsi ils poursuivent l’œuvre du Père. Un enfant qui entend ses parents le bénir grandira sous le regard de Dieu.
Les enfants sont invités à obéir à leurs parents (Col 3,20). Ceux-ci leur ont communiqué la vie reçue de Dieu. Ils les ont procréés. Les enfants sont donc invités à recevoir non seulement cette vie biologique, mais plus encore la vie dans ses dimensions sociales et spirituelles. C’est d’eux qu’ils apprendront comment vivre pour répondre à l’amour du Père.
La Révélation divine nous apprend que l’attitude fondamentale pour cela est l’obéissance. Le Fils, Jésus, se situe par rapport au Père dans une relation d’obéissance. « Aussi, en entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps…alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre. » (He 10,5.7) Au don du corps répond l’obéissance. De même pour les enfants. Le combat de l’enfant sera donc dans l’apprentissage de cette obéissance. Il sera tenté par la rébellion ou la révolte, et ultimement par l’ingratitude. La révolte pourra être visible, bruyante ! Elle est alors un cri qui pourra être entendu et auquel une réponse pourra être apportée. Bienheureux cri ! Mais elle peut être aussi sourde, dissimulée derrière une obéissance servile. Elle se teintera alors d’hypocrisie et de mensonge et risque fort de finir par une blessure profonde de la communion.
Susciter la gratitude est certainement le meilleur antidote à la révolte, bruyante ou silencieuse, car c’est lorsque je sais dire merci que je peux prendre conscience que je suis aimé. Par l’action de grâce envers Dieu, ou le simple remerciement en famille, non seulement je construis la communion avec l’autre, mais je me dis à moi-même que je suis aimable. Je trouve alors la ressource nécessaire pour entrer dans la confiance et vivre une saine obéissance.
Dans la fratrie
Dans la fratrie, le combat est celui de la jalousie, celui de Jacob et Esaü. L’enfant veut être aimé totalement, et parce qu’il voit l’autre aimé par ses parents, il peut être tenté d’entrer dans le mensonge qui lui fait croire que ce qui est donné à l’autre enfant lui est retiré. L’antidote à cette tentation sera l’apprentissage du partage. Apprendre à prêter ou donner permet de découvrir que la joie n’est pas dans la possession égoïste, mais dans la communion incarnée par ce qui est partagé. Il pourra alors accepter que le bien le plus précieux, l’affection de ses parents, puisse être lui aussi partagé et que ce partage sera, pour lui, source d’une joie plus grande. La découverte de Jésus comme frère est une ressource importante car il permet de découvrir que nous sommes tous aimés inconditionnellement par le Père. Eduquer à la fratrie pourra passer par cette prise de conscience de Jésus comme frère.
Par le sacrement de mariage, la grâce du Christ est donnée aux parents pour mener à bien cette mission. Cette grâce rejoint aussi les enfants. Ceux qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas mariés sacramentellement, même s’ils ne peuvent pas vivre des grâces spécifiques données dans le mariage, ne sont pas privés de la grâce. Ils peuvent s’appuyer sur leur baptême et avoir la joie de voir leurs enfants devenir toujours plus leur frère ou leur sœur dans le Christ !
Père Jean-Baptiste Edart, expert bibliste théologien, pour la Maison d’Abba
Comme il est important de savoir écouter ! Le dialogue entre conjoints est essentiel pour qu’une famille puisse être sereine.
— Pape François (@Pontifex_fr) 16 décembre 2014